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Dans son film Au pays du silence et de l’obscurité (1971) Werner Herzog filme une vieille dame sourde et aveugle, Fini Straubinger.  Par son intermédiaire, on pénètre dans un univers où se développent des modes de communication alternatifs basés sur l’éveil du sens du toucher, autant de liens infimes et singuliers pour être relié au monde extérieur.

 

Cet autre langage du corps, inventé dans la contrainte, traverse l’ensemble du travail de Berdaguer&Péjus et se retrouve particulièrement dans cette nouvelle exposition. Le langage de LORM, créé par Heinrich Landesmann au XIXe siècle pour faciliter le dialogue avec une personne aveugle et sourde, permet de communiquer en suivant des dessins et des codes inscrits sur un gant. Entrelacés, ces gants devenus ici sculptures délivrent sans doute un enchâssement de mots qui demeurent cryptés au regard. Fruits de l’observation quasi scientifique d’une réalité traumatique, les œuvres de Berdaguer&Péjus annoncent des possibles générés par un manque, une absence.

 

Berdaguer&Péjus prospectent aussi sur les réactions chimiques qui se déroulent au sein de l’être vivant et qui lui permettent notamment de se maintenir en vie, de se développer et de répondre aux stimuli de son environnement. La vie donc, mais en ce qu’elle contient aussi de maladies en tout genre.

 

Le disfonctionnement est toujours considéré, on pourrait même dire « respecté » par les artistes, en ce qu’il autorise ou oblige à inventer de nouveaux signes. Ainsi les œuvres Bulle de confiance et les Casques EHS ont en commun un même principe de construction et de géométrie mais sont aussi conçues pour et par la diffusion d’informations et flux invisibles ; elles sont à la fois symptômes et thérapies. L’une génère une modification du comportement chez les individus en exacerbant artificiellement leur degré de confiance par la diffusion d’ocytocine (hormone) quand les autres protègent des ondes électromagnétiques.

 

Autre motif du disfonctionnement humain, celui de la convulsion, observé dans des cas de névrose, qui a nourri toute une iconographie à la fin du XIXe siècle. Cette capacité plastique repérée au cœur du système défaillant est ce que Freud, à propos de l’hystérie, appelle la  « conversion » : « Dans l’hystérie, l’idée incompatible est rendue inoffensive par le fait que sa somme d’excitation est transformée en quelque chose de somatique. Pour ceci, je désire proposer le nom de conversion. (...) Le moi a ainsi pu se libérer de la contradiction, mais en échange il s’est chargé d’un symbole amnésique, innervation motrice insoluble ou sensation hallucinatoire revenant sans cesse ».

 

C’est à partir des dessins des gestes hystériques de Paul Richer en 1879 que Berdaguer&Péjus ont décidé de convertir à  leur tour les mouvements d’une crise, via l’interprétation d’une danseuse, en vidéo puis en données numériques et en sculpture. Pour B & P, ce n’est pas seulement la mise en lumière de l’état d’un corps véritablement affecté, mais peut-être surtout une manière de trouver une forme plus attentionnée vis à vis de cet enregistrement de la souffrance, une forme qui pourrait en quelque sorte faire honneur à sa puissance, paradoxalement signe de vivacité, parfois même de beauté.

 

Comme en réponse aux efforts d’une société pour proposer des formes en apparence raisonnables et rassurantes, Berdaguer&Péjus portent une attention toute particulière aux silhouettes les plus inquiètes, qui deviennent pour les artistes les germes de formes nouvelles, libres, qui échappent. Leurs sculptures émotives portent littéralement cette inquiétude en elles puisqu’elles exsudent une transpiration humaine (synthétique).Telles un corps.

 

Car la forme n’advient pas, sûre d’elle et solitaire, d’un bloc, elle est mutante, virale, parcourue de pulsions,  imprégnée de traumas, échafaudée à force d’attentions et d’intentions, jamais définitive, toujours en mouvement…comme autant de Puzzling questions.

 

Sandra Adam-Couralet

 

 

 

Berdaguer&Péjus – nés en 1968 et 1969, vivent et travaillent à Marseille.

 

Expositions personnelles récentes (sélection) : Mexico68, Artorama, Mécènes du Sud, Marseille, 2017 ; Sin materia, Le Narcissio, Nice, 2017 ; Y 40 (autorépliquant), Jardin des tuileries, Paris, 2016 ; Berdaguer&Péjus, la Maréchalerie, Versailles, 2015 ; Fantôme sans château, le Parvis, Tarbes, 2015 ; Jardin épileptique, installation éphémère, jardin des plantes, Montpellier, 2014 ; Berdaguer & Péjus - Musée Rodin, Meudon, 2014 ; Opéra noir, commande privée Marseille centre(action nouveaux commanditaires), 2013 ; Gue(ho)st house, commande publique du centre d’art la synagogue de Delme, 2012.

 

Expositions de groupe  (sélection) 2017 : Le bruit des choses qui tombent, Frac Paca, Marseille ; Utopia/dystopia, MAAT, Lisbonne ; De nature en sculpture, Villa Datris, Isle sur Sorgue ; 2016 : 2006immersion2016, IAC, Villeurbanne ; Le rêve, Musée Cantini, Marseille ; Le temps de l’audace et de l’engagement, IAC, Villeurbanne ; 198920072016, GaleriePapillon, Paris ; 2015 Tu dois changer ta vie, commissariat : Fabrice Bousteau, exposition renaissance tripostal lille3000 ; Constructeurs d’absurde, bricoleurs d’utopie - Abbaye St André - Centre d’art contemporain Meymac ; Futurs, commissariat, Christine Poullain, Guillaume Theulière, la vieille charité, Marseille ; Dimensions variables, Artists and Architecture, commissariat Didier Gourvennec Ogor&Gregory Lang, Pavillon de l’Arsenal, Paris.

 

Puzzling Questions est leur première exposition personnelle à la Galerie Papillon.