doc-expo-volume4.inddDans ce quatrième volet des travaux de la fondation mouvante, commencés en 1989, Thierry Mouillé propose un ensemble de pièces nouvelles qui touchent toutes, à première vue, à la question du double. On connaissait les questionnements récurrents de la psychologie ou de la littérature, depuis Dr. Jekyll et Mr. Hyde au moins, sur le dédoublement de la personnalité. Thierry Mouillé a l’audace presque folle de s’interroger ici sur les possibilités d’un dédoublement de l’objet, parallèle au dédoublement du sujet. Comme dans les volumes précédents de la fondation mouvante, rassemblés sous forme d’expositions unitaires depuis 1998, l’artiste fait de ses pièces les acteurs potentiels d’un scénario rigoureux. Plus qu’auparavant peut-être, avec la question du double, il fait de cette indistinction voulue entre le sujet et l’objet le centre de sa recherche. Après une première salle de rappels où sont présentés une sélection de travaux antérieurs, des « pièces définitionnelles » notamment, qui fixent depuis longtemps, dans leur réalisation la plus simple, des gestes cardinaux de l’artiste quant aux problèmes qu’il tente de résoudre, on est introduit dans un univers inédit et d’une cohérence troublante. Y apparaissent des objets jamais vus, chaises, tables, bibliothèques, etc., d’origine industrielle, mais ici pièces uniques et pourtant dédoublées. Sur fond de murs noirs, un éclairage oscillant renforce l’effet du dédoublement des formes et achève d’ajouter à la familiarité d’objets quotidiens le double de leur étrangeté radicale, dès lors que ceux-ci ne sont plus produits en série mais qu’ils paraissent se reproduire d’eux-mêmes. Thierry Mouillé a aussi invité six complices à s’approprier l’univers qu’il a créé, à y travailler ou, mieux, à s’y mettre à table, puisque leurs travaux seront pour chacun exposés sur l’espace d’une table dédoublée. « La fondation mouvante, volume IV » sera donc le lieu d’une coopération collective en même temps que l’épreuve partagée de ces objets inédits dont ni les usages, ni les fonctions ne peuvent encore être connus.

Sous le titre générique de « fondation mouvante », Thierry Mouillé n’a cessé d’essayer de briser l’opposition traditionnelle du statique et du dynamique. Mouvement impossible peut-être, celui de « la construction sur des sables mouvants », lieu utopique aussi, d’un répertoire d’anti-monuments…Les volumes antérieurs de travaux donnaient ainsi à voir des glissements de terrain, des objets traversés par les ondes, des présences spectrales et revenantes, le projet de détournement d’un fleuve et aussi des mouvements vains ou sans appuis, des pièces qui patinent, qui s’affaissent, qui s’effondrent. Avec ce quatrième volume présenté à la galerie Claudine Papillon, l’artiste part d’objets stables à la conquête de leur mouvement. Un mouvement qui débute par une simple translation, décalage au principe d’une métamorphose à l’identique. L’objet s’incruste à lui-même, il s’autoparasite en même temps qu’il s’autoengendre.

Objets absurdes ou conscients d’eux-mêmes, presque animés ? Objets vaniteux qui, derrière leur fonctionnalité, montrent leurs prétentions envahissantes ou objets réflexifs et réfléchis, engagés dans un rapport de transformation de soi ? Il revient à l’exposition de rendre ou de laisser ces questions indécidables. Comme dans les précédentes expérimentations de la fondation mouvante, l’univers de Thierry Mouillé est habité d’objets ou de situations ordinaires, mais transformés au point de révéler qu’ils n’ont pas encore trouvé l’humanité qui leur correspond. Un jeu de bowling – exposé aussi, et de deux manières, dans ce quatrième volume – où la boule tourne en vain devant l’ensemble des quilles qui l’attendent, réuni tous les ingrédients d’un événement, celui ici d’une alliance nouvelle, à inventer, entre sujets et objets, sont réunis mais ces ingrédients restent toujours comme suspendus. Un suspens qui invite à regarder chaque pièce à deux fois, au moins…