Hétéro Queer

Vernissage 22 mars 2014
15h30 - 20h30

On commençait à identifier Sammy Engramer, l’homme qui jamais ne touche un morceau de bois sans le transformer en revival de l’art moderne, le furieux affairé à ce que la pensée circule encore dans le commerce des œuvres. Partisan avoué d’un entrisme volontaire, il impose le sens à la forme avec une insistance qui fait son style. Surtout, un fond polysémique qui souvent se cache  sous une surprenante mais indispensable simplicité du résultat.

Or, a-t-on, ici, indiscutablement affaire à du pur Sammy Engramer ? Forcément, évolution de la société oblige, l’homme nous embarque dans la plus indispensable aventure du temps présent, à savoir l’état actuel de la guerre des sexes. Où en est le front, côté innovation théorique et agitation humaine ? À différents stades selon les points de vue, et c’est là ce que l’ensemble de pièces proposées ici va tenter de distiller :

Autant le dire d’emblée puisque le titre de l’exposition est déclaratif : Sammy Engramer sort du placard, et ce coming-out contre-intuitif nécessitait qu’il fabrique lui-même ses propres contenants (Sirènes/3). Ils sont en forme de femmes, ce qui jusqu’à preuve scientifique du contraire, renvoie à une réalité physiologique universelle. Ils sont au nombre de deux, l’un renfermant, aux différents étages de la personne représentée, les attributs et accessoires de la femme traditionnelle, celle à qui s’adresse encore la majeure partie de la presse féminine et de la publicité. Le second s’ouvre sur une réalité un brin moins familière du grand public, ce fameux queer qui fait frissonner les âmes sensibles.

Dans ce registre offensif, Sammy Engramer a tracé un jour, pour l’évidence du geste, un signe alliant l’anarchie au féminisme, pour découvrir peu après qu’il ornait déjà les jolis ventres mobiles et exhibés d’une groupe punk féminin, prosélyte et brutal, faisant usage sur scène d’attributs masculins - identifiables même pour les néophytes (Tribe8). Il l’a donc conservé, le divisant en un spectre de couleurs complémentaires, fidèle à la lettre de la décomposition de la lumière. On pourrait imaginer de s’associer à la téméraire prise de position de cet artiste-homme-féministe en arborant ce sigle, s’il le déclinait sous forme d’insigne. À la boutonnière, ça ferait très old-school.

Pour nous remettre de nos émotions devant ces tapageuses évocations saphiques, rien de tel qu’un autre versant de l’anthropologie sociale. Avec la complicité d’une jeune plasticienne du son, Johana Beaussart, Sammy Engramer a imaginé les scalps des squaws contemporaines (Sissif).  Étranges présences qui nous ignorent, dépassant du mur comme au dernier instant avant d’y disparaître complètement ; ces passe-murailles nous murmurent d’une voix enjôleuse différentes litanies de la condition féminine occidentale. On s’attarderait bien sur ces deux attraits officiels, la chevelure et le timbre, si les plaisanteries sonores que ces pièces nous coulent dans l’oreille n’étaient pas si grinçantes.

Pour nous remettre de nos émotions devant cette trop familière épreuve de la condition du beau sexe, nous pouvons nous noyer dans la contemplation d’une étrange photographie en couleur représentant deux mains posées sur un comptoir (Bagues). Il est très difficile de déterminer si elles appartiennent à l’un ou l’autre genre, tant l’âge et la profusion de bagues hétéroclites rendent cette partie du corps illisible, asexuée.

Sont asexuées, aussi, d’autres représentations anthropomorphiques génériques, à croire que Sammy Engramer nous propose une condition humaine commune en dépit de l’évidence des disparités. Ainsi ce cintre, squelette du vêtement quand celui-ci n’habille pas l’être humain, est le propre de l’homme comme sont le sacré et le rire, d’où son titre : Saintre.

Et ce livre d’angle, objet fétiche de la pratique de cet artiste, ce n’est pas qu’il n’ait pas de sexe, mais, ouvert sur des propos tenus par Sœur Sourire* il surprend peut-être davantage que tous les signes référencés ici, puisqu’il nous rappelle que la nonne chantante était une ardente défenderesse de la pilule contraceptive. Il n’y a donc, insiste Sammy Engramer, qu’un pas à faire pour traverser encore davantage les croyances souvent erronées qui nous divisent.

Reste à traduire, entre autres innombrables œuvres, cette plaque un peu terrifiante, qui résume froidement dans une matière imputrescible notre anatomie, réduisant nos attributs aux termes qui les localisent. Eh bien, l’artiste, clément, loin d’avoir bêtement utilisé l’anglais pour sacrifier à la mode, a dégoté dans cette langue une incursion poétique. « Blue tit », littéralement « bleu sein », signifie aussi « mésange bleue ». Et le bleu de ce jeu de mots évoque irrésistiblement celui des seins appliqués sur la toile par Yves Klein et ses modèles. Je suis un peintre frustré, aime à déclarer cet artiste irrésistiblement conceptuel.

Frustré ou pas, aucun psychanalyste digne de ce nom ne refuserait à Sammy Engramer le titre de ʺnévrosé ayant réussiʺ, tant sont lacaniennes les pièces Le complexe d’Œdipe et La Maman et la putain. On dit d’une femme peu encline à la bagatelle qu’elle est de bois, Sammy Engramer fait de cette matière un usage dont l’obscénité particulièrement sophistiquée verse dans le symbolique en passant par les mots, comme il se doi(g)t.

Eléonore Marie Espargilière

* rapportés dans la biographie de Sœur Sourire par Claire Guézengar, Léo Scheer 2009



Sammy ENGRAMER - Né en 1968 à Blois, vit et travaille à Tours.
Hétéro Queer est la troisième exposition personnelle de l’artiste à la galerie Claudine Papillon. En 2001, Sammy Engramer participe à la création de l’association «Groupe Laura», qui diffuse l’art par l’intermédiaire de sa revue éponyme, «Revue Laura», dont il est co-directeur depuis 2005. Par ailleurs, Engramer est professeur à l’École Nationale Supérieure d’Art de Dijon. Prochainement, il participera à l’exposition « Entre deux chaises, un livre », à la Villa Empain, à Bruxelles.