Erik_Dietman_BD.jpgC’est peu de dire qu’Erik Dietman est un artiste inclassable et jamais classé, extrêmement classe, insolent, jamais dolent, insaisissable, insoumis, invétéré. En fait, Erik Dietman décourage le qualificatif : à tenter de le cerner on est condamné à l’euphémisme. Il est à peu près le seul à avoir réussi à se définir, parce qu’en la matière il a fait simple: Erik Dietman, gros artiste. Voilà, en long et en large (passons sur ses travers), ce qu’on peut hasarder de moins inexact sur le personnage.

Du travail en revanche, on peut approcher à coup de tentatives de contextualisation, sachant qu’au moyen de ces repères on restera toujours à distance : Erik Dietman, gros artiste, a connu Fluxus de près, et rencontré les nouveaux réalistes avant même qu’ils ne portent cette appellation. Il avait un sacré flair, doublé d’un talent indéfectible pour l’amitié. Cela dit, bien qu’il ait été un temps "Roi du sparadrap", jamais de sa vie il n’a adhéré à quelque mouvement que ce soit, à part bien sûr celui des plats de la cuisine vers la table.

L’art, d’ailleurs, pratique quotidienne, sportive et digestive, ne s’est jamais vraiment distingué chez lui de la cuisine, et l’expression "se nourrir de" devrait lui être personnellement réservée. La seule vraie différence, c’est que les pièces d’Erik Dietman ont exigé une préparation plus longue que la plupart des recette connues : entre un et quatre ans en moyenne. La ressemblance, elle, est dans la prépondérance de la langue. A l’instar de l’imaginaire gastronomique, la composition - bien plus complexe qu’il n’y paraît – de ses œuvres procède de l’omniprésence du langage. Son travail, à ses propres yeux, a toujours été écrit avant que d’avoir été dessiné ou sculpté.

Personne ne sait exactement combien de langues il parlait, mais les jeux de mots débordants qui égaient ses dessins et les légendes de ses catalogues en associent toujours plusieurs. De même, les motifs de ses pièces, quelqu’en soient le matériau et le format, demandent un examen approfondi pour découvrir combien ils sont habités, voire surpeuplés de personnages et de malices.

On verra donc dans cette (combientième?) exposition personnelle des pièces rarement montrées jusqu’aujourd’hui : on remarquera notamment les œuvres en bronzes tellement différentes que chacune d’elle semble disqualifier l’autre en tant que bronze.

Le Paysage Normand, "bronzai" géant patiné de vert, est réalisée par un procédé presque primitif de la fonte du bronze, Erik Dietman a lancé le métal en fusion dans du sable, les sillons délicats et presque floraux qui en résultent sont la trace d’une physique aléatoire. Le Phare associant quand à lui le fer au bronze, cache sous un titre et une apparence assez sages un feuilletage de sens analogue à celui des dessins. Assemblage et composition y rendent fidèlement les petits détails familiers d’un monde domestique qu’Erik Dietman a rendu à l’état sauvage. Enfin, le Proverbe turc, une installation environnementale de 40 paires de chaussures en bronze, reflète son mystère dans la patine chaude d’une couleur de cuir.

Cette exposition est une nouvelle étape dans la mise en lumière d’un corpus tellement considérable que rien ne dit qu’il sera un jour intégralement inventorié. Le travail d’Erik Dietman a toujours été continu, il continue.