Jardin_e_gare__1.jpg“Un oranger sur le sol irlandais,

on ne le verra jamais” (1)

Un peu comme les personnages des films de Kiarostami qui grimpent la colline sur laquelle se détache toujours un arbre, il existe un lien quasi obsessionnel entre l’artiste et l’arbre : Mondrian, Bonnard... “L’amandier en fleurs” dont Jean-Claude Ruggirello a punaisé une reproduction à côté des deux écrans de l’ordinateur. L’image nous montre un amandier en fleurs et un oranger tenus par une corde, “pendus” si l’on peut dire, qui tournent sur eux-mêmes à l’horizontale : d’un côté les fleurs blanches ou les fruits orange, à l’autre bout la motte noire de la racine, entre les deux, le tronc. Première surprise, un peu comme ces anciennes balances romaines, l’axe est complètement décalé, est-ce là le point d’équilibre? Donc très vite de vrais problèmes de sculpture mais il est vrai que Jean-Claude Ruggirello est sculpteur, qu’il est aujourd’hui un des artistes qui entretient les rapports les plus détendus et les plus sains avec la technologie de l’ordinateur.

Deux écrans, deux arbres qui tournent lentement suivant la torsion de la corde qui les pend, filmés dans la serre du pépiniériste, comment filmer un arbre déraciné car il n’y a sous nos yeux aucune violence, on se souvient d’un projet d’arbre tournant de Charles Ray, mais là, l’arbre meurt assez vite ou encore de l’olivier présenté sur son socle/motte de Maurizio Cattelan. Jean-Claude Ruggirello rend la proposition sculpturale, la sculpture est là comme un Calder qui tourne lentement au vent. D’abord les fleurs blanches de l’amandier plein écran, magnifiques, puis elles disparaissent, il n’y a plus que l’horizontale austère du tronc puis d’un coup apparaît sur l’écran l’élément sombre de la motte de racines noire, c’est aussi un peu comme un système solaire...

Dans le même espace, deux autres sculptures : deux canoës comme cassés, “flèches brisées”, encore un geste sculptural, mais maintenus sur des fourches de métal, les arbres pendent donc et les canoës reposent. Le nœud de la corde posait l’équilibre, ici l’équilibre est le point de rupture, là où ça a cassé donc là où c’est le plus fragile : la place du siège, on se souvient des vacances de Monsieur Hulot et de sa promenade en canoë : là ça se terminait en bec qui sort de l’eau... Là aussi pas de drame : un simple accident qui devient un geste. Les premiers canoës étaient aussi logiquement des arbres évidés. Enfin, la résine qui fait la peau des canoës aujourd’hui est bien la même que celle que l’on trouve dans les ateliers de sculpture, c’est là aussi que, pour la petite histoire, Carl André, allongé dans le canoë au fil de l’eau découvre l’horizontalité de la sculpture.

Les mots choisis par Jean-Claude Ruggirello lorsqu’il parle des œuvres de cette exposition sont ceux de la sculpture : le nœud, l’équilibre, la rupture... Un canoë “pété en deux” sur les bords de la Loire, un arbre déraciné par la tempête, il s’agit bien ici de révéler, hors de tout drame, le potentiel de sculpture de ces images.

Yves Brochard

(1) Bourvil, La ballade irlandaise, 1958