Françoise Vergier
Picasso m'a morduefrom September 10 to October 29 - 2011
print" Ce n’est pas l’oeil qui voit. Ce n’est pas l’âme. C’est le corps comme totalité ouverte"
Merleau-Ponty
Comment Picasso a t il bien pu s’y prendre pour mordre Françoise Vergier ? En nourrissant sa propre excellence des moments les plus fertiles de sa longue vie amoureuse. En exerçant sa puissance à déconstruire les formes... et les femmes qui l’entouraient. En devenant cette figure colossale à laquelle il faut s’affronter quand on peint, quand on sculpte.
Françoise Vergier, mordue, a donc choisi de considérer cet affrontement comme un mobile inspirateur, et de contre attaquer par la ruse, par l’humour, et sur un autre versant, par la reconstruction de ce qu’il y a eu de cassé dans cette épopée artistique et sexuelle. On trouve ici les aspects de chaque courant de sa tactique guerrière toute personnelle.
La ruse et l’humour résident dans un usage réapproprié de la défiguration.
Pour m’approcher de la peinture de Picasso, j’ai trouvé l’idée du bas-relief qui m’a permis de malmener et de défigurer les têtes
En effet, les visages que contiennent ses curieuses boîtes, mi cadres, mi tables de jeu, sont écrasés au point qu’on ne saurait dire s’il s’agit de modelage aplati ou de haut relief trompeur. Traversés de part en part ou entourés en partie par des évocations de cadre, ces physionomies douces font les frais d’une lutte avec les limites de la représentation, sur fond de dessin sauvage, affranchi de la perspective occidentale, morcelé, divagant en liberté dans une superposition de plans magique et instinctive.
Shitao soutenait « que la peinture émane du cœur ». Françoise Vergier rejoint le maître chinois dans la conviction qu’on ne peint qu’ intimement traversé de ce que l’on vit, sans volonté d’arraisonner le réel en le re-présentant.
Au nombre des motifs croisés de ses compositions, les damiers et les pions racontent le jeu d’une femme qui ne fera jamais d’ « ouvrage de dame » et mettra toujours la féminité en œuvre avec l’énergie d’une déesse primitive.
En contrepoint de tous ces combats, les images de la réparation sont riches et évidentes de volupté. Âmes sœurs inséparables, protégées par d’innombrables talismans minuscules, fétiches précieux brillant sous la transparence de globes antiques, tracés complémentaires de la lumière et du métal où l’on peut lire le dessin d’une matrice pleine ou d’un cœur battant, les unions sont nombreuses dans ce travail qui veut répondre au conflit par la réconciliation.
Au centre de cet ensemble, un corps se tourne et se dresse, portant haut les ors impériales d’un hymne à la sensualité victorieuse, les motifs de son incroyable couronne répondant au galbe parfait de son séant.
Je me suis figurée être une femme de Picasso, j’ai donc été traversée par toutes ses femmes, et bien sûr, à mon tour, je me suis retrouvée être une « mordue » ! Une bonne raison de retomber sur mes thèmes favoris ! L’entre-deux de la peinture et de la sculpture, du féminin et du masculin, de l’autel dressé à l’amour, du corps féminin et de la solitude inhérente à la personne.
Dans cette statue, j’ai voulu mettre ce que Philippe Sollers dit de la peinture de Picasso et qu’il nomme comme étant « le diagnostic sexuel, toujours monumental transposé en plein cœur ». Cette sculpture expose autant le centre sexuel d’un corps féminin que l’effort surmonté du corps abandonné par le peintre. Elle est son sexe comme origine à la création. Elle est le triomphe de sa propre restauration et de son intégrité maîtrisée. La « femme de Picasso » qui refuse sa destruction et s’échappe mérite l’or.