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Sabrina Vitali
Fabrica

30 janvier - 23 février 2020
Vernissage jeudi 30 janvier, de 18h à 21h


Résidence LVMH Métiers d’art 2019

 

Manufacture Renato Menegatti

 

 

Exposition réalisée en partenariat avec

LVMH_Parfums&Cosmetiques_295C


Ouverture exceptionnelle dimanche 23 février.
De 14h à 18h signature en présence de l’artiste
FABRICA, Sabrina Vitali
RVB Books, 2019

À la recherche des brouillards salins*

Récit par Léa Bismuth
Ce texte a paru chez RVB Books, dans sa version complète, au sein de l’ouvrage FABRICA.
Il a été écrit à la suite de la visite de Léa Bismuth à Sabrina Vitali en résidence LVMH Métiers d’Art au sein de la Manufacture Renato Menegatti.


Lorsque j’ai rendu visite à Sabrina Vitali — dans la fabrique de métal précieux au sein de laquelle elle effectuait ses recherches et créait ses œuvres, à Vicenza, dans le nord de l’Italie —, mon avion avait atterri à l’aéroport de Venise Marco Polo. Il me fallait donc traverser encore un bout de pays pour la rejoindre. Après les pins se découpant dans le ciel bleu, les routes, la voiture est arrivée dans une région industrielle aux murs de brique, peuplée d’usines anciennes et nouvelles. La pensée des films de Michelangelo Antonioni m’a immédiatement traversée. Le Désert Rouge, surtout, ce film tourné en grande partie à Ferrare, révélateur d’une période faste pour les usines italiennes, un temps (les années 1960) où l’embauche des ouvriers était facile, et la main-d’œuvre conciliante. Vicenza et sa région sont aussi aujourd’hui bien connues pour leur joaillerie, une certaine idée du savoir-faire à l’italienne.

Nous commençons à visiter l’usine. J’y découvre des machines, des « bains », des êtres concentrés sur des gestes minutieux, des visages bienveillants et à l’ouvrage. Sabrina me parle galvanisation, sédimentation, tribofinition, cuivre, nickel, bronze, or, PVD, découpe de laiton, baguettes-fils-rubans, boucles et fermoirs pour des sacs à main aux finitions parfaites. Elle finit par me décrire toutes les expérimentations qu’elle a pu mener, jouant des expériences, des essais inlassables, par de multiples tentatives d’approche de cette matière en constante évolution : le métal comme matière vivante rendue délicatement précieuse grâce aux diverses actions accomplies. Je commence à la suivre dans la vapeur d’or, dans des atmosphères de plus en plus colorées, dans les métamorphoses qu’elle m’aide à percevoir parmi les chariots à roulettes, les boîtes d’œufs et les hublots entrouverts. Ce qui l’intéresse, c’est la renaissance et la fragilité, les potentiels d’attraction, qui, métaphore admirable, attirent l’électricité pour la faire circuler, s’en emparer, s’en nourrir. Sabrina s’intéresse aux à-côtés, aux anomalies de la fabrication, aux coulures vert sapin abandonnées sur les parois vitrées des machines, aux oxydations ferreuses, aux bleus de cobalt et d’outremer, aux sublimes paysages toxiques qu’elle fait siens.

En sortant de la manufacture, le soleil nous éblouit. Nous nous dirigeons vers le splendide atelier, pièce d’un seul tenant, immense. Je vois des chairs, de l’éphémère, du vivant, une manière d’usine c’est certain ; l’atelier d’une artiste qui cherche, par espaces fragmentés d’expérimentation, avec un seul et unique objectif : faire parler les profondeurs de la matière, la pousser dans ses retranchements, l’amener à des états limites, trouver une sensualité sans laquelle rien n’aurait de sens. Sabrina m’explique que toutes les couleurs (les bleus, les verts et les dérives d’oxydations multiples) et tous les matériaux sont issus des salles que nous avons traversées. Et pourtant : le processus de transformation a eu lieu. Après l’alchimie des machines vient celle du travail artistique.

Nous en venons à parler d’André Vesale [1514-1564], l’un des plus grands anatomistes de la Renaissance. De humani corporis fabrica (À propos de la fabrique du corps humain) : le corps aussi est une fabrique, c’est-à-dire une usine, une organisation — les os, les muscles, le système circulatoire, le système nerveux, les organes aux diverses fonctions. Sabrina a étudié les planches de l’ouvrage, notamment les écorchés, entrant en étroit écho avec ses dessins de muscles, formes abstraites réalisées au feutre de manière quasi obsessionnelle (ou méditativement, pour oublier un temps les machines) durant sa résidence. Dans le corps-à-corps avec la matière, l’artiste cherche ce que la langue de la médecine ancienne appelait les « humeurs », c’est-à-dire le sang, la bile et la lymphe (liste à laquelle j’ajouterais volontiers les larmes, le sperme et la sueur). Quelque chose ne cesse de circuler là, comme en intraveineuse. Et l’on peut se souvenir une nouvelle fois de ces « machines anatomiques », ces squelettes humains laissant voir des siècles plus tard le fonctionnement du système vasculaire, à l’exemple de ceux conservés dans la chapelle Sansevero, dans la Naples baroque, près d’un Christ voilé.

Non loin, dans cette exposition-promenade, divers tissages et soieries me mènent à une série de paravents, de tagasode, inspirés de la culture japonaise, cet art du dévoilement, du désir attisé par des procédures d’une grande subtilité. C’est à cet instant que Sabrina me parle de l’ukiyo-e, du monde flottant propre aux plus grands artistes pratiquant l’estampe japonaise. Elle me parle de son appétence pour les notions d’éphémère et de sa disposition pour les pratiques spirituelles proches du zen ou du taoïsme. Car elle sait créer la jonction, au cœur même de son langage plastique, entre le baroque italien et le zen japonais. On pourrait croire à un grand écart, mais il n’en est rien. Le point de jointure entre le pli baroque et la suspension japonaise se trouve précisément dans une attention portée à ce qui surgit, à ce qui se produit, à ce qu’il faut laisser apparaître — par l’effusion ou au contraire par le laisser-être le plus extrême — par le corps ou par l’esprit, le contrôle et l’incontrôlable, la technique et l’oubli. Sur ces paravents, des déploiements floraux, gravés, cosmogoniques.

Le lendemain, nous nous rendons dans un lieu de cœur, que l’artiste connaît déjà et qui l’a énormément influencée pour l’agencement de son travail en résidence (de mon côté, c’est un lieu que je rêvais de visiter depuis longtemps) : le cimetière Brion de Carlo Scarpa, situé à San Vito d’Altivole, près de Trévise, à une trentaine de kilomètres de Vicenza. Je comprends qu’il s’agit de se promener là comme dans une exposition à l’air libre, une architecture où le béton et le marbre deviennent des substances conceptuelles ; où le moindre escalier, où le moindre bosquet, le moindre plan d’eau avec nénuphars, acquiert une signification, une justesse, un équilibre et une simplicité limpide, devançant à l’excès nos propres perceptions tout en les épousant. Scarpa, c’est l’infini à la portée du promeneur. Et peut-être que dans nos fors intérieurs, nous cherchons à réaliser des expositions à l’image de cette promenade-là, Sabrina et moi.


Léa Bismuth

* Le test au brouillard salin est une évaluation standardisée de la résistance à la corrosion de matériaux métalliques. Dans la chambre d’essai, la vaporisation d’une solution salée produit une atmosphère propice à la corrosion qui attaque la pièce testée. Dans ces conditions, le phénomène de corrosion est accéléré et les revêtements perdent leurs propriétés de protection.

Le principe de la résidence LVMH Métiers d’art est d’utiliser la matière première et les savoir-faire d’une manufacture référente dans son domaine comme sources d’un projet artistique majeur. Il s’agit également de stimuler l’esprit de créativité et d’innovation des artisans en les confrontant à la vision d’un artiste.
Les œuvres présentées dans l’exposition Fabrica sont issues de la résidence 2019, qui s’est tenue de janvier à juin 2019 au sein de la manufacture Renato Menegatti en Italie.

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Sabrina Vitali - Née en 1986 à Thionville. Vit et travaille à Paris.
Diplômée de l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris en 2010, Sabrina Vitali effectue de nombreuses résidences. Elle a remporté le 32ème Prix International de la Fondation Takifuji en 2011. Elle a participé à plusieurs expositions collectives, notamment au Palais de Tokyo en 2018, et a déjà réalisé plusieurs expositions personnelles en France et également au Japon.